[Tribune] Les violences conjugales en Afrique, ce fléau silencieux

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A la faveur de la Journée internationale de la femme africaine (Jifa), célébrée chaque 31 juillet, Annaïck Moubouyirevient sur les violences conjugales dont est toujours victime la gent féminine en Afrique. Sa tribune a été publiée la première fois en novembre 2020 sur le site pourelles.info. Les contours d’une problématique un moment éclipsée par la pandémie de la Covid-19.

© Gabonreview/Shutterstock

 

Annaïck Moubouyi est analyste politique spécialisée en sécurité globale. © D.R.

Nicole est une jeune Ougandaise pleine de vie. Mère d’un petit garçon, elle travaille dans un salon de coiffure. Le 11 mai dernier, elle se jette dans le Lac Victoria. Nicole était victime de violences conjugales. Nous ne connaissons pas les raisons de son suicide, mais ses proches les lient aux multiples violences qu’elle subissait au quotidien.

L’année 2020 aura tant marqué nos esprits ! En matière des droits des femmes, cette année, si particulière, nous a rappelé l’universalité du combat contre les violences faites aux femmes. Pendant que nous célébrions le 25ème anniversaire de la Déclaration de Beijing, nous enregistrions parallèlement une forte augmentation des cas de violences sur les femmes, liés au contexte de la COVID-19. Au Mexique, à Singapour, en France, les cas de signalements de violences conjugales ont augmenté de manière significative. En réalité, le confinement n’a fait qu’accentuer le phénomène de violences conjugales qui était déjà présent dans de nombreux foyers. En Afrique, les femmes, elles aussi, ont vécu un enfer, s’étant retrouvées du jour au lendemain enfermées avec leurs bourreaux, sans possibilité de s’enfuir pour certaines. En Afrique du Sud, où la barbarie de trop d’hommes en couple est devenu le quotidien de plusieurs femmes, ce sont plus de 2 000 plaintes qui ont été déposées dès les premiers jours du confinement. D’ailleurs, au début du confinement, des histoires et des vidéos de femmes violentées par leur compagnon dans différents pays africains circulaient sur les réseaux sociaux.

Plus que jamais, la COVID-19 a replacé le sujet des violences conjugales, et des violences faites aux femmes de manière générale, au centre des débats. Si certains Etats africains avaient pourtant fait des droits des femmes leur priorité, leur long silence durant cette période a été assez surprenant. Aucune pensée envers les victimes, alors que ce sont les mesures qu’ils ont adoptées qui ont placé des femmes et leurs enfants en situation de danger.

En Afrique, comme partout ailleurs, les femmes subissent des violences physiques mais aussi psychologiques dans leur foyer, sur leur lieu de travail, dans la rue etc. Plus choquant – ces violences sont souvent tolérées par les familles et la société. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

Certains l’expliquent par la nature de nos sociétés traditionnelles patriarcales, où l’homme a toujours occupé une place prépondérante et la femme un rôle de potiche. Ainsi, l’homme, le Chef de famille, a pour sujets sa femme, voire ses femmes, et ses enfants. Omnipotent, il décide de tout et la violence devient un moyen d’asseoir son pouvoir. Cette construction sociale a eu deux conséquences majeures, à savoir que, d’une part, elle a rendu la femme africaine vulnérable face aux violences, et, d’autre part, elle a éclipsé le grand rôle joué par les femmes dans l’histoire politico-socio-économique de l’Afrique.

La femme africaine subit également les préjugés de la société pour qui elle incarne « la femme forte ». De ce fait, elle doit tout accepter, tout supporter, et nous la glorifions pour cela. Au fond, cette « force », devenue la caractéristique principale de la femme africaine, n’est-elle pas un prétexte pour continuer à lui faire supporter l’insupportable ? Parce qu’elle est forte, elle doit cacher ses sentiments. Oui, car les traumatismes qu’elle subit au quotidien ne doivent surtout pas la conduire à faire une dépression ou à se « rebeller ». Non, cela est réservé aux femmes « occidentales ». La femme africaine doit subir et se taire.

Sur les plans politique et judiciaire, le manque de considération de nos gouvernants pour la lutte contre les violences faites aux femmes a également permis aux hommes violents de se croire intouchables et, pire encore, dans leurs droits. D’ailleurs, il est difficile de trouver des statistiques gouvernementales sur les violences basées sur le genre dans nos pays, comme si ce phénomène, pourtant bien connu de tous, n’existait pas. Si certains pays se sont démarqués en développant de véritables mécanismes de lutte contre les violences faites aux femmes, à l’instar du Rwanda, les initiatives gouvernementales sur le continent restent encore trop faibles. Clairement, la lutte contre les violences faites aux femmes n’est pas une priorité pour de nombreux dirigeants africains !

Femmes africaines, nous aussi avons notre part de responsabilité dans ce qu’il nous arrive. Beaucoup d’entre nous revendiquons fièrement avoir élevé souvent seules nos enfants alors comment se fait-il que nos petits garçons deviennent des monstres une fois adultes ? Combien d’entre nous les sensibilisons sur les violences faites aux femmes ? Combien d’entre nous rappelons à nos filles qu’elles ont de la valeur et un grand rôle à jouer dans nos sociétés ? Femmes africaines, réveillons-nous et combattons un phénomène qui fait tant de victimes parmi nous ! Jusqu’à quand allons-nous accepter que le destin de femmes battues soit le nôtre ? Jusqu’à quand allons-nous tolérer que des femmes africaines, nos sœurs, se fassent tuer par leurs compagnons ? Jusqu’à quand allons-nous rester silencieuses ? Devons-nous attendre une autre « Aminata » qui, parce qu’elle n’avait pas préparé le repas de son mari, a été battue par celui-ci jusqu’à ce que mort s’ensuive ?

Le combat contre les violences conjugales nécessitera l’implication d’une pluralité d’acteurs parmi lesquels, entre autres, l’État, la société civile, et les chefs religieux et traditionnels. Il nous faudra notamment libérer la parole et condamner les violences, créer des centres spécialisés afin d’assister gratuitement des femmes en situation de détresse et des hommes violents, adopter des lois pour dissuader le recours à la violence, développer des mécanismes permettant l’autonomisation des jeunes filles et des femmes qui, financièrement dépendantes de leur compagnon, sont souvent prisonnières de relations abusives, et surtout sensibiliser les femmes, les hommes et les enfants sur le sujet des violences. Par ailleurs, il faut souligner l’engagement entier de Premières dames en matière de lutte contre les violences basées sur le genre et des droits des femmes dans nos pays.

Femmes comme hommes, nous avons tous un rôle à jouer dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Ce combat ne saurait être la lutte des femmes contre les hommes, mais bien la lutte de tous pour l’Humanité. C’est pour toi, Nicole.

C’est pour toi, Aminata. C’est pour la mémoire de toutes celles qui sont tombées sous les coups que nous nous battrons. C’est pour toutes celles qui continuent à subir des violences que nous ne lâcherons rien.

Annaïck Moubouyi

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Titulaire d’un master 2 de l’Université Montesquieu à Bordeaux, Annaïck Moubouyi est analyste politique spécialisée en sécurité globale.

En 2017, elle est sélectionnée pour le prestigieux programme « Mandela Washington Fellowship – Young African Leaders » du Département d’Etat du gouvernement états-unien et devient le premier ressortissant gabonais à être choisi pour discourir au Sommet de Washington. Elle axe son discours sur la nécessité de mettre fin aux violences faites aux femmes sur Internet.

En 2018, elle est nommée Coordinatrice Générale de la campagne « STOP aux violences faites aux femmes sur Internet » au Gabon qui sensibilise plus de 300 lycéennes et des dizaines de milliers d’internautes sur la cybercriminalité.

En 2019, elle reçoit le Prix Women Who Work à Ottawa. Décerné par l’Ambassade du Gabon au Canada, ce prix promeut les actions citoyennes en faveur des droits des femmes à travers le monde.

Engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, elle participe aujourd’hui à des panels et accompagne les Etats, organismes internationaux et la société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et actions en faveur des droits des femmes en Afrique.

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