Le marché public, qui est un outil de prédilection dans la réalisation de choix de politique économique, souffre au Gabon, au niveau des contrôles sur sa passation et son exécution, d’écueils divers et multiples. Ce qui l’empêchent de jouer pleinement son rôle de soutien à l’économie nationale, estime Judicaël Kou-Vassa, juriste, Expert junior en Marchés publics et en Partenariats public-privé, dont la réflexion est publiée ci-après.
De la faiblesse du paysage institutionnel d’encadrement et de contrôle de l’application du droit des marchés publics au Gabon.
Le principe de la séparation des fonctions de contrôle et de régulation dans les marchés publics a poussé bon nombre d’États, parmi lesquels le Gabon à créer au sein de son système de marchés publics deux nouveaux organes. Il s’agit, d’une part, de l’organe en charge du contrôle a priori et, d’autre part, de celui qui s’occupe du contrôle a posteriori et de la régulation des marchés publics.
Formellement consacré au Gabon par les dispositions de l’article 9 de notre code des marchés publics, la mise en place de ces nouveaux organes a été possible par décret nº0278/PR/MEP du 22 août 2014 fixant les règles d’organisation de l’Agence de Régulation des Marchés Publics d’une part et d’autre part, le décret nº00027/PR/MEF du 18 mars 2020 portant création, attribution et organisation de la Direction Générale des Marchés Publics.
Leur création par les autorités compétentes gabonaises découle, sans doute, de la prise de conscience des enjeux et risques qui gravitent autour de notre système des marchés publics. En effet, parce qu’ils représentent une part considérable de la dépense publique gabonaise, ces marchés jouent un rôle majeur dans le développement économique et social de notre pays. C’est en cela qu’ils s’analysent pour paraphraser le Secrétaire Exécutif de l’ARMP du Niger le Dr. Adamou Issoufou comme « un puissant moyen de mise en œuvre des politiques publiques et constituent dans le même temps, une source potentielle de prévarication et autres mauvaises pratiques en matière de gestion des deniers publics ».
Il convient donc de dire que le contrôle et la régulation des marchés, bien que séparés, l’un à l’égard de l’autre devraient être complémentaires. Le contrôle intervenant avant l’entrée en vigueur des marchés et la régulation qui se veut beaucoup plus globale car elle intervient aussi bien avant l’entrée en vigueur des marchés en cas de recours devant l’ARMP, qu’après l’exécution des marchés à travers la conduite des audits.
C’est pourquoi dans la présente note d’analyse, une attention particulière sera accordée au fonctionnement de ces institutions afin de voir si elles sont à la hauteur des enjeux qui ont présidé à leur mise en place, c’est-à-dire, si elles assurent un contrôle et une régulation pertinente des marchés publics dans notre pays. Mais, avec un peu de recul, l’on se rend bien compte que la réticence de l’État gabonais fait que malgré la pertinence de l’idée de départ, le nouveau dispositif institutionnel peine à révolutionner la pratique des marchés publics et ce, pour plusieurs raisons que notre analyse non exhaustive se propose d’évoquer.
Nous allons donc faire la peinture des insuffisances de l’organe de contrôle a priori des marchés publics (1) avant de mettre à nu les faiblesses de l’organe de contrôle a posteriori et de la régulation des marchés publics (2).
1- Les Insuffisances de l’organe de contrôle a priori des marchés publics
La DGMP est un service central placé sous l’autorité directe du Ministère chargé de l’Economie et de la Relance. elle a pour fonction au sens des dispositions de l’article 2 du décret nº00027/PR/MEF du 18 mars 2020 susvisé, de contrôler l’application de la législation et de la réglementation sur les marchés publics ; d’émettre des avis, accorder des autorisations et dérogations nécessaires à la demande des Autorités Contractantes lorsqu’elles sont prévues par la réglementation en vigueur ; d’assurer en relation avec l’organe de régulation, la formation, l’information et le conseil de l’ensemble des acteurs de la commande publique sur la règlementation et les procédures applicables et de contribuer à la collecte d’informations et de documents en vue de la constitution d’une banque de données.
Cependant, cette structure qui souffre osons le dire de réels moyens humains et matériels est du fait de son rattachement au Ministère de l’Economie et de la relance un organe au service de l’exécutif. Elle exécute les instructions données par sa hiérarchie et peut être considérée comme une administration d’entérinement des choix du pouvoir exécutif. C’est d’ailleurs ce qui explique à notre avis que les procédures d’exception ou dérogatoires à l’appel d’offres ouvert sont légions au Gabon. En effet, au Gabon, l’urgence est invoquée à tout bout de champ lorsqu’une autorité contractante décide de donner un marché à un opérateur économique sous le regard coupable de la DGMP qui est censée au terme de l’article 68 alinéa 1er du CMP accordée des autorisations sous la base d’une demande d’autorisation qui lui est adressée par l’autorité contractante concernée et qui expose les motifs justifiants le besoin de recourir à cette procédure.
Qu’il convient même de dire qu’il ne faut pas perdre de vue que l’article 70 dudit code précise tout de même les cas limitatifs où il est possible de recourir aux marchés par entente directe. Il est donc inadmissible à notre avis que la procédure d’entente directe soit devenue la règle de principe au détriment de l’appel d’offres ouvert. Cette situation montre que dans la pratique des marchés publics au Gabon, la DGMP n’exerce pas de façon systématique ses missions de contrôle des AC en raison du nombre croissant des marchés publics, d’un personnel insuffisant et ne disposant pas de l’expertise nécessaire de sorte que la DGMP devienne le véritable gendarme des procédures de passation des marchés publics.
Or l’objectif recherché derrière la mise en place de la DGMP est celui de traquer toutes irrégularités avant la formation du contrat ou, au pire des cas, avant son entrée en vigueur. Qu’il n’est pas superfétatoire de dire qu’une fois cette étape dépassée, il serait très difficile de réparer les conséquences juridiques, administratives et financières de l’irrégularité commise dans la préparation, la passation ou l’attribution du marché.
L’Agence de Régulation des Marchés Publics présente tout aussi des faiblesses.
2- Les faiblesses de l’organe de contrôle a posteriori et de la régulation des marchés publics.
L’Agence de Régulation des Marchés Publics du Gabon créée en 2014, est un organe indépendant au sens de l’article 58 et suivants de la loi n°020/2005 du 03 janvier 2006 fixant les règles de création, d’organisation et de gestion des services de l’Etat. Cette indépendance renvoie moins à une conception souveraine de cette Agence, mais beaucoup plus à une véritable autonomie de celle-ci vis-à-vis du pouvoir. En effet, comme l’affirme le Dr. Abderhimou Dicko, spécialiste malien de la commande publique, « Les régulateurs ne sont jamais totalement indépendants du pouvoir exécutif. Ce qui est important pour l’équité du traitement du secteur, c’est qu’ils puissent être impartiaux ».
C’est la raison pour laquelle au Gabon l’ARMP conformément à l’article 3 du décret nº0278/PR/MEP du 22 août 2014 dispose d’une autonomie administrative et financière. Celle-ci lui est accordée afin de garantir sa neutralité et son objectivité.
C’est un organe qui a pour mission entre autres, d’assurer la régulation du système de passation et d’exécution des marchés publics en vue d’en accroître la transparence et l’efficacité et de contribuer à la formation des acteurs de la commande publique. Pour mener à bien ces différentes missions, l’ARMP commande à la fin de chaque exercice budgétaire des audits réalisés par des cabinets indépendants sur un échantillon aléatoire de marchés, mais également elle tranche les litiges dont elle est saisie et peut aussi procéder à des enquêtes portant sur la transparence et les conditions d’exécution des marchés publics et tient la liste des personnes exclues des procédures de passation.
Mais dans la pratique nous constatons que l’ARMP ne joue pas son rôle. En effet, depuis sa création, l’ARMP ne soumet pas à l’analyse critique de spécialiste du droit neutre et indépendant l’ensemble des actes qu’elle rend en matière de règlement de litige pour garder la pratique de son traitement des différends dans les standards internationaux. Qu’il n’est pas superflu de dire que l’exploitation et l’analyse de ces actes pourraient permettre de s’assurer de leur pertinence et de leur cohérence au regard non seulement du cadre juridique communautaire et national, des arrêts du Conseil d’Etat mais également par rapport à leur impact sur l’efficacité du système de passation des marchés publics au Gabon.
De plus, l’ARMP ne conçoit ni ne publie dans le journal des marchés publics conformément à l’article 2 de son décret de création, aucun bulletin regroupant des décisions, des avis et conciliations pour lesquels elle est saisie. Subséquemment se pose même la question de l’effectivité d’une telle activité en son sein, en ce sens que dans son texte de création il n’existe pas au niveau de ses organes un comité de règlement de différend. Or il est évident que la mise en place et la publication d’un bulletin regroupant l’essentiel des décisions, avis et conciliation de l’ARMP, pourrait susciter un débat public dans lequel les avocats, les universitaires et experts en passation des marchés publics auront l’opportunité de formuler leur opinion sur la pratique de notre organe de régulation.
S’agissant des audits, l’ARMP est chargée de faire réaliser par le biais d’audits techniques indépendants, le contrôle périodique a posteriori de la passation et de l’exécution des marchés, de contrôler et suivre la mise en œuvre de la règlementation en la matière. Mais à ce jour aucun rapport d’audit mettant en exergue les aspects marquants de l’environnement des marchés publics sur une année déterminée n’est mis à disposition du public pour nous permettre d’apprécier la progression des autorités contractantes dans la prise en charge des recommandations liées à ces audits et qui contribuent à l’appropriation des meilleures pratiques.
Un autre handicap est celui de l’impartialité de notre Agence de Régulation des marchés publics. En effet, dans son fonctionnement l’ARMP ne devrait pas subir, en principe, une influence ou pression de la part de l’Etat, lequel ne lui donne aucun ordre par rapport à un dossier ou une question à traiter. En conséquence, l’Etat n’exerce ni pouvoir d’instruction ni pouvoir de reformation ni pouvoir d’annulation des décisions prises dans le cadre de la régulation des marchés publics. Mais le fait de voir notre ARMP logée dans les locaux du Ministère de l’Economie ne pourrait susciter l’adhésion de tous les intervenants de la commande publique à ces règles de principe. Pour rappel, l’impartialité est l’un des credo de la régulation, c’est pourquoi, il s’avère impératif de mettre le régulateur à l’abri de toute influence administrative. Cette position ne peut lui permettre, d’échapper à tout pouvoir d’instruction et de contrôle et de disposer d’une liberté d’action juridiquement.
In fine, il nous est permis de dire que le marché public qui est un outil de prédilection dans la réalisation de choix de politique économique, souffre au Gabon, au niveau des contrôles sur sa passation et son exécution, d’écueils divers et multiples qui l’empêchent de jouer pleinement son rôle de soutien à l’économie nationale.
Judicaël KOU-VASSA, Juriste, Expert junior en Marchés publics et en Partenariats public-privé.
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