Emmanuel Macron et Paul Biya, le 10 octobre 2019 à Lyon. © Laurent Cipriani/AFP
On annonce la visite imminente du président de la République française au Cameroun. Il serait accompagné de Catherine Colonna, ministre des Affaires européennes et étrangères, d’Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée, de Franck Paris, le monsieur Afrique du président, et de Christophe Bigot, directeur Afrique du ministère des Affaires Européennes et Étrangères. Donc, pas une visite anodine, une vraie visite d’État pour un président re-nouvellement élu.
La question qui se pose est la suivante : pourquoi tant de précipitation, tant d’honneurs et en fin de compte, pour quoi faire et pourquoi le Cameroun ?
À Lire [Série] Cameroun : les scénarios de l’après-Biya Pour avoir suivi et suivre toujours de près, voire de très près, la politique intérieure du Cameroun, nous ne pouvons nous étonner car c’est la suite logique d’une politique initiée depuis longtemps : soutenir sans le dire ouvertement Paul Biya et, peut-être, obtenir des gages économiques ?
La constante de la politique française depuis la fin de la Françafrique semble être de faire confiance à celui qui est en place, à sa succession choisie, plutôt que de jouer la carte du renouveau et de la rupture, par peur de l’inconnu, la nouvelle femme ou le nouvel homme dont on ne connaît pas vraiment les objectifs. Au Cameroun comme ailleurs en Afrique.
Il ne peut ignorer… On nous a dit et répété au ministère des Affaires étrangères, où nous avons rencontré de nombreuses personnes – d’ailleurs de moins en moins responsables –, que la France ne se mêlait jamais des affaires intérieures d’un autre pays. Comment y croire ? Y croient-ils eux-mêmes ?
C’est, en effet, difficile à croire alors que cette visite se situe en pleine période de succession à la tête de l’État camerounais. Alors que les guerres intestines font rage pour succéder à Paul Biya, qui n’est pas éternel, Emmanuel Macron vient passer deux jours au Cameroun. Il ne peut ignorer les luttes au sein du RDPC, le choix de Paul Biya, le choix de Chantal Biya, la montée en puissance de Franck Biya (notons au passage qu’il a été reçu récemment à l’Élysée), les progressistes du RDPC – s’ils ont le courage de s’affirmer. Il ne peut ignorer les forces de l’opposition qui font un score si médiocre aux présidentielles, en particulier Maurice Kamto, il en connaît les raisons. Il ne peut ignorer les problèmes du Noso et les dissidences violentes et sécessionnistes induites. Il ne peut ignorer les accords de défense avec la Russie et les agissements de la Chine…
À Lire Cameroun : à qui Paul Biya va-t-il donner les rênes du RDPC dans l’Ouest ? Il ne peut ignorer que l’avenir du Cameroun pèsera fortement sur la stabilité de l’Afrique centrale et de l’Ouest.
Que vient-il faire ?
Il y a maintenant très longtemps que nous suivons, de l’intérieur, l’évolution politique du Cameroun : l’affaiblissement progressif du SDF de John Fru Ndi, qui aurait dû gagner les présidentielles de 1992, la dissidence de Bernard Muna, qui a quitté le SDF pour tenter de relancer une opposition trop proche du pouvoir et trop noyautée par Fru Ndi, le retrait d’Akéré Muna face à la division de l’opposition, la défaite de Maurice Kamto et sa mise à l’écart de la scène politique.
Il ne peut ignorer cela.
À Lire Cameroun : le premier cercle très fermé de Franck Biya, fils (et successeur ?) du président Paul Biya Il ne peut ignorer la corruption profonde qui règne dans toute la société et qui est un instrument politique, comme le communautarisme diviseur mis en place par le pouvoir, ni ces opérations Épervier qui mettent hors circuit les opposants dangereux, Marafa Hamidou Yaya en étant le plus représentatif, par suspicion de corruption… un comble. Mais tout ceci est fait dans la légalité, car c’est la loi telle qu’elle est écrite par le pouvoir qui le permet. À ce titre, la loi est un instrument politique qui donne une apparence de démocratie, et non un instrument d’égalité au service du peuple.
Le choix entre la rupture et la continuité Que reste-t-il aux Camerounaises et aux Camerounais pour se projeter dans un avenir libéré des griffes d’un homme, d’une famille, d’un entourage proche qui n’ont aucunement l’intention de se retirer de la politique, bien au contraire ?
Il suffit de regarder dans le monde quels processus ont été employés par les peuples qui ont dit : « ça suffit ! » Et on a la réponse.
À Lire Cameroun : après Paul Biya, un dauphin surprise à la tête du pays ? Cependant, il faut aussi regarder quels ont été les résultats. Et là, on ne peut pas dire qu’ils ont dépassé les espérances, on peut même dire que les déceptions ont été nombreuses et déchirantes. C’est une leçon à méditer, mais elle ne doit pas conduire à l’immobilisme politique et à la reconduction de ce qui est par rapport à ce qui pourrait être. Ce serait tuer l’avenir.
Le Cameroun a le choix dès maintenant entre la rupture et la continuité. Les forces politiques devraient se positionner face à ces deux options pour que les alternatives soient claires dans le court terme.
À Lire Cameroun : guerre de succession au SDF après le retrait de John Fru Ndi Alors, qu’allez-vous faire, Monsieur le Président ? Continuer à écouter vos conseillers, qui jusqu’ici n’ont pas fait preuve de clairvoyance, ou faire confiance à l’avenir, aux femmes et aux hommes nouveaux, aux vrais démocrates, à celles et ceux qui ne se cachent pas derrière une démocratie de façade appuyée sur une loi de circonstances ? Ou bien allez-vous prendre le risque de voir l’Afrique différemment, particulièrement le Cameroun, en favorisant le progressisme en politique, en donnant des signes en ce sens aux populations avides de Liberté et d’Égalité ?
Puisque vous êtes là, au Cameroun, le Cameroun vous regarde, et certainement pas que lui.