Conjuguée à la banalisation de l’abstentionnisme et à la forte percée du Rassemblement national (RN), l’absence de majorité absolue témoigne de l’incapacité du président français à se saisir des attentes de ses compatriotes.
Si ce n’est pas une bérézina, ça reste un échec. Au lendemain des législatives du 19 du mois en cours, Emmanuel Macron se retrouve privé de majorité absolue, incapable de gouverner. Sa coalition Ensemble ayant obtenu 245 sièges contre 145 pour la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) constituée autour de Jean-Luc Mélenchon, 89 pour le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et 64 pour Les Républicains, il devra composer avec d’autres forces. S’il veut constituer un gouvernement, il devra tendre le main, négocier, faire des concessions, y compris sur des marqueurs de son positionnement idéologique. Contre toute attente, la droite traditionnelle se retrouve en position de force, en situation de faiseuse de roi, le président français étant condamné à s’en rapprocher. Comme une sorte de revanche sur l’histoire et surtout sur le dynamiteur d’il y a cinq ans.
Réforme constitutionnelle au milieu du gué
Peu importe l’ampleur, c’est un échec personnel pour Emmanuel Macron. Ayant claironné son ambition de faire entrer son pays dans le «nouveau monde», il ne s’en est jamais donné les moyens. Si la banalisation de l’abstentionnisme traduit une faible adhésion au jeu politique, la forte percée du RN est révélatrice d’un profond malaise voire d’une défiance vis-à-vis des institutions. Comme la récurrence de la présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, ces faits révèlent l’incapacité des élites dirigeantes à se saisir des attentes de leurs compatriotes. Ils témoignent de leur inaptitude à impulser des réformes adaptées à l’époque. Pour tout dire, ils pointent l’impuissance du président français face aux rigidités sociales, à la demande d’une meilleure participation à la vie publique et à la redéfinition de l’universalisme républicain, confronté aux particularismes identitaires.
Certes, Ensemble a obtenu une majorité relative. Certes, elle reste la seule force capable de constituer une majorité. Certes, le spectre de la cohabitation s’est éloigné. Mais ces résultats expriment aussi une certaine désillusion. Au-delà des circonstances ayant favorisé sa réélection, Emmanuel Macron n’a pas été à la hauteur des enjeux. Il n’a, en tout cas, pas su honorer sa principale promesse : offrir à la France une «respiration démocratique profonde.» Perturbée par l’affaire Benalla, sa réforme constitutionnelle de 2018 est restée au milieu du gué. Quant à ses «projets de loi pour un renouveau de la vie démocratique», ils sont demeurées de simples incantations. A l’orée de son second mandat, ni le statut juridictionnel du président de la République ni les relations entre la magistrature et l’exécutif ni le rôle des corps intermédiaires n’ont connu d’évolution. Il en va de même pour la procédure législative. Pourtant perçu comme une «anomalie démocratique», l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution est toujours de saison. Au mépris des syndicats et acteurs sociaux, des lois structurelles comme le Code du travail peuvent être adoptées par ordonnance.
Epreuve de vérité
Dans un pays encore marqué par le mouvement des Gilets jaunes, les électeurs ont voulu exprimer leur désarroi face à tant de scories passéistes. En s’abstenant massivement, ils ont dit ne plus croire en la capacité des dirigeants actuels à changer les choses. En permettant à la Nupes d’établir un contrepoids relatif, ils ont voulu s’attaquer aux certitudes, se prononçant pour davantage de concertation. En offrant au RN la possibilité de constituer un groupe parlementaire, ils ont indiqué attendre des changements de fond. Comme lors des deux dernières élections présidentielles, ils ont affiché leur rejet d’une pratique politique en vigueur depuis de trop longues années. Or, même s’il ne l’admettra jamais, Emmanuel Macron est trop souvent tombé dans ce mélange d’autosatisfaction, de prudence gestionnaire et de calculs bassement politiciens. Quand bien même il s’en défendra toujours, il symbolise cette élite à la fois précautionneuse et bien-pensante, accrochée aux agrégats économiques et gouvernant au rythme des sondages.
Cinq ans durant, le président français s’est endormi sur les lauriers de son inattendue victoire de 2017, multipliant fanfaronnades et dénis de démocratie. Lors de la dernière présidentielle, il a merveilleusement sur tirer profit de la guerre en Ukraine pour se faire réélire sans évaluation. Il lui reste maintenant à trouver comment démêler l’écheveau des législatives. Si on l’imagine frayer avec LR et les Divers, rien ne semble joué. Déjà, le président de LR ne s’est pas fait prier pour dire son intention de demeurer dans l’opposition, douchant de nombreux espoirs. S’étant défini, en juillet 2017, comme l’homme du «mouvement» et de l’«énergie créatrice», Emmanuel Macron doit maintenant en apporter la preuve. Pour lui, c’est peut-être l’épreuve de vérité.
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