Escroquerie à l’usurpation d’identité : Dérives dans les services de renseignement

 

La trajectoire de la bande à Ludovic Ondo soulève bien des questions. Pourquoi ces escrocs ont-ils prétendu être des services de renseignement ? Pourquoi leur stratagème a aussi bien marché ?

Les agents des services de renseignement donnent le sentiment d’être des citoyens entièrement à part, au-dessus de la loi et jouissant de protections particulières. Conscients de cette réalité et désireux d’intimider leurs proies potentielles, les malfrats de tout poil résistent rarement à l’idée de s’en réclamer (En bas, la bande à Ludovic Ondo). © Montage Gabonreview

 

On n’en finit plus d’épiloguer sur l’Etat de droit. A la suite du maintien en détention de Jean-Rémy Yama, on a longuement glosé sur les pouvoirs du procureur de la République, sa relation aux autres juges ou la procédure de délivrance des mandats de dépôt. Depuis quelques jours, un autre aspect alimente la chronique : le rôle et le comportement des auxiliaires de justice, singulièrement les officiers de police judiciaire et autres agents de renseignement. Et pour cause : s’étant longtemps présentés comme des agents des services spéciaux de la présidence de la République, trois compatriotes ont réussi à tisser un réseau d’escroquerie et de trafic d’influence, extorquant de l’argent à tout-va, avant d’être rattrapés par la justice. (Lire : «Faux agents des services spéciaux en détention préventive à ‘’Sans famille’’»)

Risque de délation ou de négation des libertés fondamentales 

En dépit de son côté rocambolesque, cette actualité ne relève pas du banal fait divers. Elle en dit long sur l’image de nos services de renseignement. Quelle compréhension les citoyens ont-ils de leur rôle et de leurs responsabilités ? Y adhèrent-ils ou s’y soumettent-ils ? Quel rapport les agents entretiennent-ils avec les populations ? Quelles sont leurs méthodes d’investigation ? Agissent-ils dans le respect des droits humains ou se permettent-ils des écarts en tous genres ? Œuvrent-ils dans le sens de l’intérêt général ou pour assouvir des besoins individuels voire pour régler des comptes personnels ? Si elle n’apporte pas vraiment de réponses, cette affaire soulève bien des questions. Au-delà, elle incite à s’interroger sur le mandat des services de renseignement : doivent-ils se limiter à l’intelligence économique et à la sécurité nationale ou peuvent-ils s’intéresser aux affaires relevant du droit commun, au risque de tomber dans la délation ou la négation des libertés fondamentales ?

Certes, les services de renseignement ont pour mission d’alerter l’exécutif sur tout mouvement pouvant porter atteinte à l’État et à sa sécurité. Certes, pour des raisons d’efficacité, ils doivent agir dans la discrétion et l’opacité, au risque d’apparaître comme des instruments de pression au service du pouvoir.  Certes, leurs agents doivent faire montre d’un sens élevé du contact humain, de la psychologie et d’une capacité d’adaptation à toute épreuve. Certes, ils doivent être capables de ruser, simuler ou dissimuler, quitte à prêcher le faux pour obtenir le vrai. Mais la trajectoire de la bande à Ludovic Ondo laisse entrevoir des dérives, Ces petites frappes auraient-elles sévi avec tant de réussite si elles ne bénéficiaient pas de complicités en milieu autorisé ? Leurs victimes se seraient-elles laissées prendre si leurs méthodes semblaient à mille lieues de celles des agents assermentés ?

Concilier sécurité et libertés

Le renseignement n’a pas seulement pour objectif d’identifier ou prévenir les menaces à la sécurité de l’Etat. Comme toutes les politiques publiques, il vise à protéger l’intérêt général tout en créant les conditions d’un épanouissement individuel. Vu sous cet angle, sa mise en œuvre doit reposer sur un cadre juridique et institutionnel connu de tous. Or, pour leur plus grand malheur, les services de renseignement donnent trop souvent l’impression d’être un Etat dans l’Etat, agissant en marge de la loi dans le seul but de protéger le pouvoir politique. Quant à ses agents, ils laissent généralement le sentiment d’être des citoyens entièrement à part, au-dessus de la loi et jouissant de protections particulières. Conscients de cette réalité et désireux d’intimider leurs proies potentielles, les malfrats de tout poil résistent rarement à l’idée de s’en réclamer. Surfant sur les rumeurs relatives aux techniques d’interrogatoire, ils usent de méthodes toujours plus musclées.  Les services spéciaux de la présidence de la République ont beau avoir neutralisé le gang de Ludovic Ondo. Cela ne les exonère nullement d’un examen de conscience. En tout, ils gagneraient à se demander pourquoi ces escrocs ont-ils prétendu être des leurs. Et pourquoi leur stratagème a aussi bien marché.

S’ils veulent se mettre à l’abri de telles impostures, les services de renseignement doivent réfléchir aux voies et moyens de concilier sécurité et libertés. Autrement dit, ils doivent délimiter les champs d’intervention de leurs différents services. Afin se doter de garanties adéquates et suffisantes contre les abus, y compris d’agents assermentés, ils ont tout aussi intérêt à préciser les techniques d’interrogatoire. Sur les conditions d’interpellation ou de garde à vue, comme sur la manipulation de données à caractère personnel ou la collecte des aveux, trop de choses se disent. Pas toujours reluisantes, elles nuisent à la réputation des Renseignements généraux. Faute remédier à cette situation, le Gabon se condamnerait à voir apparaître de nouveaux Ludovic Ondo, Corvain Ondo ou Jerôme Banav.

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